logo Les trois coups
Dimanche 30 Juillet 2006

ENTRE LES NANTIS ET LES MISÉREUX…
Les absents ont toujours tort ! Les personnes présentes aux différentes représentations d'Adrian, l'enfant du paradis peuvent en attester. Il est en effet difficile voire impossible de rester insensible au dernier petit chef-d'œuvre de Gille Crépin.
L'auteur de Makaleï lève le voile, ou plutôt le rideau, sur une des problématiques qui occupent le monde depuis des siècles et des siècles. Sur un ton de fable, Gille Crépin traite, avec légèreté mais non moins sans gravité, des différences entre classes sociales, de l'écart qui ne cesse de se creuser entre les nantis et les miséreux. Adrian, l'enfant du paradis est le parcours initiatique, la quête existentielle du fils de la famille la plus puissante de l'île de Paraiso. Adrian emprunte docilement la voie familiale, toute tracée, jusqu'au jour où Zina, la nouvelle laveuse de vitres récemment engagée par son père, disparaît. Adrian s'aventure alors dans les bas quartiers du port et y découvrira, tour à tour, la vraie vie et le secret dont sa famille aurait toujours voulu le préserver. Adrian se trouvera finalement face au choix cornélien de vivre la nouvelle vie qui s'offre à lui ou de jouir du pouvoir auquel il est prédestiné.
L'écriture soignée, tout en finesse, vient appuyer, sans conteste, le jeu de l'acteur qui, grâce à une habile alternance de noirs et de subtiles modifications apportées aux costumes, interprète successivement et avec brio les six personnages que Gille Crépin nous donne à voir. Une belle performance, mise en valeur par une scénographie minimale mais efficace, qui accompagne, ponctue un texte bien balancé tout en laissant libre cours à l'imagination du spectateur. Une pièce à laquelle on ne peut demeurer indifférent, à la fois sévère et empreinte de magie.


AUDREY HARLANGE
www.lestroiscoups.com




Logo Rue du Théâtre
PARADIS PERDU
D'Adrian se dégage une atmosphère trouble et terriblement envoûtante. À partir du motif, somme toute classique, de la quête initiatique, de l'apprentissage, Gille Crépin a tissé un récit sobre, subtil et intelligent. Il interprète avec une délicatesse maîtrisée sept personnages dont les destinées individuelles, contre toute attente, s'entremêlent et se révèlent jusqu'au dénouement foudroyant, savamment orchestré.

Fable, apologue, conte ou récit, l'œuvre représentée est difficile à définir car elle dégage une poésie tout à fait particulière et se nimbe graduellement d'une inquiétante étrangeté. Le comédien apparaît dans une tenue presque monastique, costume taillé dans le goût asiatique, dont les pans amovibles s'ajustent en fonction d'une palette de personnages aussi atemporels qu'exotiques et, pourtant, universels. La scène, presque nue, est habillée d'un habile jeu de lumières mettant en perspective les différentes figures qui se succèdent dans des tableaux entrecoupés de ténèbres.
Adrian, le héros éponyme, est un jeune homme pétri de suffisance, empêtré dans les lieux communs du bourgeois promis à un avenir sans nuages. Il est le beau-fils et donc l'héritier de l'impitoyable Capitaine qui, en tant que descendant de l'illustre fondateur de cette île baptisée - ironie cruelle - Paraiso, exerce un pouvoir tyrannique sur toute la communauté. Un aquarium, vide, rappelle sa prédilection pour le requin, animal totem hautement symbolique d'une philosophie selon laquelle " les gros poissons mangent les petits ". Adage qu'Adrian ne manque pas de s'approprier et de " servir " à la jeune Zina, une laveuse de carreaux qui l'intrigue et le dérange dans ses certitudes en professant, notamment, qu'une fois tous les petits poissons mangés " le requin se retrouve tout seul ". Or, lorsque la petite Zina disparaît, justement, Adrian, seul et désemparé, part à sa recherche et se risque dans le sordide quartier du port. Recueilli par la mère de Zina, il s'intègre, travaille et se lie avec Luigi, le mendiant aveugle, lucide et clairvoyant. Il se croit indépendant mais le Capitaine régente son quotidien dans l'ombre et Adrian devra véritablement conquérir une identité que les différents protagonistes vont concourir à éclairer.

L'intrigue, portée sereinement par le jeu très mesuré de Gille Crépin, atteint l'intensité dramatique imprévisible d'une incoercible fatalité. L'ironie tragique fait naître des révélations que je me garderai bien de dévoiler pour préserver l'insidieux pouvoir de cette fable fulgurante.



Bérenice FANTINI
www.ruedutheatre.info

Logo Les trois coups
Vendredi 26 Mai 2006

IL NE FAUT JAMAIS SE RÉSIGNER
Du 18 au 20 mai 2006, la compagnie Épices & parfums donnait son spectacle " Adrian, l'enfant du paradis " en avant-première du Festival d'Avignon. C'était au Théâtre de l'Albatros dans le cadre de " Aux arts, etc. ". Un bien joli spectacle, ma foi, porté par Gille Crépin.
Sur une île prétendument paradisiaque, vit le jeune Adrian. A priori, tout lui sourit : son existence est imbibée de luxe et d'insouciance et, conséquemment, d'inconscience sociale. Un peu méprisante et hautaine même, cette inconscience… Un père et une mère, bien sûr. Mais pas ordinaires, tout de même. La mère d'abord : Maristella, ancienne beauté, aujourd'hui fanée, miséreuse qui ne tirait sa force que de ses charmes physiques… Le " beau-père " ensuite : l'impitoyable capitaine Manuel Ricardo Monest de Grandvilla, dangereux dictateur au petit pied, qui impose ses volontés vaniteuses et velléitaires à tout ce qui est vivant sur l'île de Paraiso. Nom boursouflé d'une terrible ironie, car en fait de paradis, la majorité de la masse humaine de l'endroit sous-vit dans la misère, soulignant la mainmise de Ricardo Manuel Monest sur les âmes et les chairs.
Et puis ce bel ordre bancal est troublé par l'irruption de Zina. Zina, la nouvelle servante de la famille du capitaine. Zina, à la recherche de son amie Deniz. Zina, qui n'a rien à perdre. Zina, qui ne laisse pas Adrian indifférent. Mais Zina disparaît… Et Adrian part à sa recherche.
Il croisera la route de Mado, la flamboyante épicière des pauvres ; celle de Luigi, le mendiant aveugle, qui semble percevoir les choses au-delà des choses, les mots au-delà des mots, les sentiments au-delà des sentiments, qui semble percer la cuirasse des cœurs ; celle de Gilberto et de ses amis, enfin, qui symbolise une possible résistance à la tyrannie du capitaine…
L'auteur Gille Crépin a écrit là une bien jolie pièce. Je trouve beaucoup de qualités à ce texte d'ici et maintenant. Sur la forme : une construction architecturée au petit point, qui ménage ses effets, qui introduit avec grâce ses coups de théâtre ; en deux mots : théâtralement efficace. Sur le fond : un texte tissé dans la trame de la simplicité, celle qui enveloppe les épaules de nos vies, mais qui aborde des thèmes essentiels comme le sens de l'existence, à contre-courant des litanies actuelles, médiatiques et sociétales notamment, qui prônent à tout prendre le pognon à tout prix.
Le comédien Gille Crépin, lui, sert l'écrivain avec générosité. Il incarne avec justesse et sobriété l'inconscience et les yeux dessillés d'Adrian, la détresse de Maristella, la gouaille de Mado, l'énergie de Zina, la sagesse sereine de Luigi, la perversion hautaine du capitaine… Je me souviendrai longtemps du claquement sec que crache l'éventail de Manuel Ricardo Monest de Grandvilla. Glaçant !
Quant à Marc Ferrandiz, Pierre de Cazenove, Maëlle Adenot et Adam Simon Callejon, ils ont tous les quatre compris l'essentiel : la mise en scène, les lumières, les accessoires, les costumes et la musique doivent être au service du texte et du comédien.
S'il y a une justice, je suis sûr qu'Adrian remportera un beau succès au Festival 2006, car, ainsi que le siffle doucement cette pièce, il ne faut jamais se résigner.

Vincent Cambier